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Pourquoi les grands manitous s’acharnent-ils contre l’avant-projet de réforme constitutionnelle ?

Pourquoi les grands manitous s’acharnent-ils contre l’avant-projet de réforme constitutionnelle ?

Le 21 mai 2025, 220 ans après l’adoption de la Constitution impériale du 20 mai 1805, première constitution de l’État d’Haïti, le comité de pilotage de la Conférence nationale a présenté au Conseil présidentiel de transition et au gouvernement l’avant-projet d’une énième réforme constitutionnelle en Haïti.

Depuis le 20 mai 1805 jusqu’à aujourd’hui, le pays a connu plus d’une vingtaine de constitutions. Ces nombreuses réformes et changements de la loi-mère constituent l’une des principales manifestations de l’instabilité sociale et politique de l’État haïtien depuis sa création le 1er janvier 1804. En analysant les travaux de spécialistes des questions constitutionnelles comme Louis Joseph Janvier et Claude Moïse, on constate que les différentes constitutions haïtiennes se situent au cœur d’un affrontement constant entre régime parlementaire et régime présidentiel.

La dernière constitution en vigueur, celle du 29 mars 1987 (amendée en 2011), détient le record de longévité des constitutions haïtiennes : 38 ans. En général, les constitutions haïtiennes ne traversent pas une génération. À chaque révolte, coup d’État ou renversement de gouvernement, une nouvelle constitution voit le jour. Or, ces événements sont monnaie courante en Haïti.

La Constitution de 1987 fut l’expression d’un rejet de la dictature et la volonté d’établir un régime démocratique basé sur la participation populaire, la décentralisation, et un contrôle rigoureux du pouvoir exécutif par le parlement. Malheureusement, après 38 ans, les principales institutions prévues par cette constitution n’ont jamais été mises en place : le Conseil constitutionnel, le Conseil électoral permanent, les assemblées départementales et municipales, les conseils départementaux, le Conseil interdépartemental, etc.

Cette non-application est le fruit de la volonté de groupes politiques et économiques visant à empêcher la participation populaire, la décentralisation, l’institutionnalisation de la gouvernance, et la transparence dans la gestion de la chose publique. Le combat mené par ces grands manitous a conduit une fois de plus le pays dans le chaos, rendant impossible toute sortie de crise par l’application stricte de la constitution actuelle. Dans le contexte actuel, il n’y a aucune possibilité réaliste de rétablir les pouvoirs de l’État sur la base de la Constitution de 1987 amendée, sans compromettre l’avenir.

Et pourtant, il est également impossible de faire une réforme dans le strict cadre de cette constitution. En effet, tout changement doit se faire par voie d’amendement, et seul un parlement fonctionnel peut le faire, en accord avec le gouvernement. Or, depuis 2020, Haïti n’a plus de parlement.

Les lois sont faites pour la société, non l’inverse. En temps de crise, la société peut souverainement décider de les refaire ou de les adapter à ses besoins. Aujourd’hui plus que jamais, la société haïtienne a urgemment besoin d’une réforme constitutionnelle. C’est dans cette perspective qu’intervient l’avant-projet de constitution présenté le 21 mai dernier.

Ce texte ne cherche nullement à défendre le Conseil présidentiel de transition, qui, jusqu’à présent, ne manifeste aucune volonté réelle de sortir le pays de la crise. Le comportement de ses membres est dangereux, tant pour le pays que pour eux-mêmes, si l’on se réfère à l’histoire récente de la politique haïtienne. Mais ce projet de réforme est un devoir patriotique, un acte d’engagement citoyen. L’avant-projet n’appartient pas au gouvernement : il est un projet national qui aura des conséquences profondes sur la destinée du peuple. Les patriotes doivent s’en emparer et l’orienter vers la renaissance de la patrie.

Dès sa présentation publique, l’avant-projet a suscité de vives réactions dans toutes les couches de la société. C’est un signe positif pour la participation citoyenne. Cependant, les plus bruyants sont les grands manitous, ces puissants qui ont toujours cherché à tout contrôler. Ils détiennent la haute main sur la violence, l’instabilité et leurs corollaires. Opposés à la Constitution de 1987, ils ont pourtant su en tirer profit, en en identifiant les failles. Ils ont saboté l’amendement de 2011, et pendant 38 ans, ils ont méthodiquement détruit les institutions prévues, jusqu’à mettre l’État à genoux. Avec une habileté digne de champions olympiques, ils ont tout fait pour empêcher la participation populaire, la mise en place des institutions-clés et la décentralisation.

Ils sont étrangement attachés à un exécutif bicéphale, où un Premier ministre issu du parlement peut paralyser l’action présidentielle. Avec l’arrivée massive de parlementaires corrompus, médiocres, parfois criminels, ces grands manitous ont pu maintenir l’exécutif sous pression constante. Ils n’ont jamais voulu voir naître les institutions telles que le Conseil électoral permanent, la Cour constitutionnelle, les assemblées locales…

L’avant-projet de constitution les inquiète. Il propose de relever les sections communales au rang de communes, donnant ainsi naissance à de nouvelles collectivités qui exigeront des services publics : délivrance de pièces d’identité, sécurité, éducation, santé… Cela effraie ceux qui ont toujours vu dans les masses rurales des Shudras ou Dalits modernes, exclus du système.

L’avant-projet propose également un exécutif fort, avec un président élu au suffrage universel direct, affranchi de l’emprise d’un parlement manipulé. Ce changement déclenche la fureur des forces des ténèbres. Un président réellement capable de gouverner ouvrirait la voie à un minimum de progrès. Les héritiers des assassins de Dessalines n’auraient plus les moyens institutionnels de faire tomber un chef d’État indépendant.

Ce projet permettrait aussi à de vrais patriotes d’entrer au parlement pour exercer un véritable pouvoir législatif. Les grands manitous n’auraient plus intérêt à investir un parlement qui ne leur permet plus de rançonner les directions générales comme la Douane, la DGI, l’APN, l’ONA, l’OFATMA, etc.

Autre innovation majeure : chaque département aurait enfin une administration élue. Le gouverneur départemental, élu en même temps que les parlementaires, viendrait contrebalancer le pouvoir abusif des députés et sénateurs, premiers fossoyeurs de la décentralisation. Ces derniers ont tout fait pour bloquer la mise en place des institutions locales, car ils craignent que leur pouvoir diminue.

La proposition de consacrer 4 % du PIB à l’éducation est un affront pour les grands manitous. Ils prospèrent sur l’ignorance. Une population instruite serait moins manipulable, moins prompte à sombrer dans la violence, et moins disponible pour porter les armes dans les ghettos. Pour eux, l’idée même d’un citoyen éduqué est une menace.

Cela dit, l’avant-projet n’est pas parfait. Des questions cruciales restent floues, comme celle de la nationalité. Les Haïtiens de la diaspora attendent une reconnaissance réelle de leur citoyenneté. Ils ne sont pas toujours partis de leur plein gré. Ce sont souvent les crises orchestrées par les grands manitous qui les ont poussés à fuir. Et pourtant, ils restent des patriotes sincères, porteurs d’espoir pour le pays.

Comme toute œuvre humaine, cet avant-projet comporte des imperfections. C’est pourquoi il est impératif que les patriotes apportent des propositions constructives, sans pour autant effacer les acquis qui dérangent les puissants.

Il faut une mobilisation effective des collectivités territoriales pour défendre les nouvelles communes, le gouverneur départemental, les 4 % du PIB pour l’éducation, et les réformes dans les trois grands pouvoirs de l’État. Jamais plus, Haïti ne doit connaître de législatures aussi désastreuses que les trois dernières.

Il faut élever la voix pour défendre une constitution porteuse de stabilité, bonne gouvernance, décentralisation réelle, et institutionnalisation, contre la capture de l’État par les forces du mal.

Makenson JEAN-BAPTISTE
Citoyen engagé
Membre du Directoire de NOUKONSYAN

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